Corpi conclut la « Trilogia dell’uomo solo » de Lou Lepori, dont c’est le cinquième essai narratif. La réflexion sur le corps à travers l’art et ses discours se poursuit et atteint son acmé avec la figure d’Andrea, danseur contraint d’interrompre sa carrière après la rupture de son tendon d’Achille. Au lieu de subir cette fin, le protagoniste relève le défi lancé par sa nièce Arka, avec la souplesse qui est propre à la danse. Vivant sans relations sociales dans un pays inconnu de l’Europe de l’Est dont il ne comprend pas la langue et dressant le portrait des passants dans un carnet, il rend compte non pas tant de la fragilité d’un homme seul que de la force d’amour d’un homme neuf, léger et profond, conscient et résilient.
Sara Lonati, Viceversa letteratura, juin 2024
La vraie solitude n’est pas liée à l’absence de relations sociales, déclare Andrea, danseur à l’arrêt après un accident. Elle est intime, «innommable». En tant qu’être de récit, lui ne se sent jamais seul: il cohabite avec des voix et des personnages dans une solitude pleine et peuplée. C’est ce qu’il affirme à sa nièce Arka, lors du dialogue percutant qui ouvre Corps perdus, cinquième roman de Lou Lepori, paru en italien l’an dernier et autotraduit. S’«il n’y a pas de relations humaines en dehors de la fiction», les histoires qu’on se raconte peuvent-elles remplacer les liens, au moins un temps? Questionnement passionnant s’il en est. La jeune femme met son oncle au défi de passer trois mois seul dans une ville dont il ne comprend pas la langue. Chiche. Lou Lepori, également poète, journaliste et metteur en scène, pose les prémices d’une expérience riche de possibilités, dans ce bref dialogue inaugural qui séduit par son énergie, son lyrisme, sa sensibilité. Mais dès lors qu’Andrea se retrouve seul, parachuté dans une ville de l’Est à l’imprononçable nom sans voyelles, on change de registre. Sans interactions avec quiconque, son personnage est un regard, un corps flottant. Il erre dans la ville, va au musée, au théâtre, spectateur de soi et du réel – le récit est entrecoupé de longs passages en italique à la première personne décrivant des corps, des gestes –, mais aussi de propositions artistiques. L’art remplace en effet le lien aux autres. Troublé par un spectacle de danse où le corps, incertain, se métamorphose, Andrea se révèle à lui-même. Corps perdus déjoue les attentes posées en ouverture. Ce récit d’une renaissance, réflexion poétique sur la fluidité et l’hybridité des corps, des identités, des genres – aussi bien sexuels que littéraires –, s’avère paradoxalement peu incarné. Car ce personnage esseulé qu’on regarde vivre, penser, sentir, hors de toute confrontation à l’autre, ne suffit pas à «faire roman», malgré l’indéniable beauté de l’écriture. Anne Pitteloud, « Le Courrier« , 6 juin 2025

Versione italiana (Effigie, 2024)
