Samuel, jeune pyromane incarcéré et fils de pompiers, tourne en rond dans sa cellule. Il reçoit la visite d’avocats et de psychologues, mais rien ne semble le désengluer de son monde d’images et de rêveries. Hors de la prison, la neige tombe sans arrêt. Une deuxième voix surgit, celle de Carlo, qui a vu sa maison et ses souvenirs balayés par le feu du pyromane et qui lui écrit des lettres. Il exprime sa rage, mais aussi son désarroi.
Adaptation théâtrale du premier roman de Pierre Lepori, SANS PEAU (Théâtre 2.21, Lausanne, 28 mars-3 avril 2016) nous plonge dans le monde mental du prisonnier (Pierre-Antoine Dubey) assiégé par les lettres de Carlo (Jean-Luc Borgeat) dans un univers à la fois visuel et sensoriel, marqué par la vidéo (Matthieu Gafsou et David Guyot) et la création lumière (Danielle Milovic).
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« (…) Dans de très beaux clairs-obscurs (Danielle Milovic) révélant des zones intérieures insondables, Samuel, la vingtaine, fils de pompier, se confronte mentalement à ses actes. Carlo, dont la vie est désormais ruinée, se raccroche, lui, à ses souvenirs de veuf autant qu’à celui de père dépassé par l’homosexualité de son fils. Tissant à travers la vidéo un rapport puissant à la nature et aux éléments – dans lesquels ces pans de vie dessinent chacun leur propre trajectoire –, Pierre Lepori nous fait osciller entre deux voix, celle du dedans et du dehors, celle d’un père et d’un fils, réconciliables ou pas, dessinant ses propres paysages avec finesse. Quelle que soit l’issue, qui reste ouverte, Sans Peau frappe comme le ressac, telle cette vague d’Hokusai chère à l’auteur, qui emporte tout ou presque sur son passage. » (Cécile Dalla Torre, « Le Courrier », Jeudi 31 mars 2016).
« (…) Jean-Luc Borgeat, qui interprète Carlo, n’est pas sur scène. L’image du comédien est projetée sur le tulle du quatrième mur. Les moyens du cinéma et de la photographie complètent ceux du théâtre, permettant ainsi de jouer avec les plans : le visage de Carlo, aussi grand que le permet l’ouverture de scène, avec sa peine contenue, se souvenirs heureux, abolit presque l’espace émotionnel entre le personnage et le public. Les images de Matthieu Gafsou et David Guyot sont aussi évocatrices des souvenirs des personnages, de leur existence dans une autre réalité que celle du drame, dans d’autres dimensions que celle de la cellule. Longtemps critique et chroniqueur de la vie théâtrale romande pour la RSI et la RTS, mais aussi fin connaisseur des arts visuels, Pierre Lepori, né en 1968 à Lugano, écrit depuis longtemps poèmes, essais et romans. Il a lui-même traduit en 2012 pour les Editions d’en bas, sous le nom de Sans peau, son premier roman Grisù, paru en italien en 2007 aux Editions Casagrande. Il lui donne ici une troisième vie, fourmillante de sens et de sensibilité. Un premier spectacle plus que prometteur. » (Elisabeth Chardon, « Le Temps », 2 avril 2016)
« (…) L’histoire d’un pyromane, d’un pyrophile, d’un pyrofou. L’histoire d’une conscience qui brûle, qui se consume sans s’éteindre. L’œuvre textuelle, faite de mots, est devenue œuvre scénique, faite de chair. Une chair crue, folle, sans peau, que seul le béton de la prison peut contenir, pour un temps. Un mur, face à nous, s’écroule. Samuel a enfin répondu aux lettres de Carlo. Sa voix a cessé de rebondir sur le béton qui l’entoure, a fini par le fissurer. Reste alors le silence. » (Valmir Rexhepi, « L’Atelier critique », 1 avril 2016)
« (…) Reprenant les thèmes principaux du roman, dont le pardon, la culpabilité et la différence, la pièce donne vie à cette correspondance épistolaire à sens unique avec intensité et émotion. Des remarques désabusées d’un Samuel en colère et en rupture tant avec sa famille qu’avec la société, aux doux souvenirs de Carlo se revoyant en père heureux de passer des moments privilégiés avec son fils, Sans peau met en parallèle avec délicatesse et sensibilité les vies de deux êtres que rien ne prédestinait à se rapprocher. Sur les ruines d’une catastrophe, ces deux écorchés essaient de se reconstruire, et de trouver chacun leur propre issue. » (Deborah Strebel, « L’Atelier critique », 31.03.2016)
«Une prison engourdie sous la neige et un havre de fortune pour qui a tout perdu. Deux enfermements parallèles. Samuel, le pyromane en cellule, reçoit les missives de sa victime mais n’y répond pas. Carlo, dont le passé a été «avalé par le feu», veut comprendre mais bientôt se raconte et confond Samuel avec Piero, ce fils qu’il n’a pu accepter. De cette correspondance à sens unique naît cependant un dialogue qui permet à chacun de trouver une issue. Réflexion sobre et juste sur la culpabilité et le pardon, la différence et son acceptation». (Philippe-Jean Catinchi, « Le Monde des Livres », 21 juin 2013)